CENTRE  D’INFORMATION  ET  DE  DOCUMENTATION 

SUR  LA TORTURE

          CIDT-TUNISIE

Association de citoyens du monde pour le droit des Tunisiens à ne pas être torturés

Membre du Réseau SOS-Torture de l'OMCT-Genève

 

Comité d’honneur :

M. Jacques  FRANÇOIS

Mgr Jacques  GAILLOT

Dr. Hélène  JAFFÉ   

M. Gilles PERRAULT     

M. François DE  VARGAS

 

Président :Jean-Marc MÉTIN

 

Besançon, le 28 décembre 2008

Cf. MAJ par ailleurs, ce 30/12/2015

 

SYNTHÈSE ACTUALISÉE DE

L’AFFAIRE ALI SAÏDI

 

Réalisée sur la base des procès-verbaux d’interrogatoire

de police et de justice.

 

CONTEXTE :

 

Ali Saïdi, né à Oum  Laârayes (Moularès - zone minière défavorisée du Sud) en 1948, a émigré en France très jeune. Il était encarté au parti destourien (ancêtre de l'actuel RCD, actuellement au pouvoir) depuis l'âge de 18 ans. Installé à Evreux, il s'active dans les rangs de l'immigration et s'engage dans l'action sociale sur le terrain (banque alimentaire, antiracisme…) Connu pour sa fougue et son esprit rebelle, il se brouille avec son parti et entre en dissidence au début des années 90. Il mène alors contre ses anciens amis politiques une lutte acharnée, surtout sur la question des droits de l’homme et de la torture, qui coïncide avec la période la plus dure et la plus sanglante du règne de l'actuel chef de l'Etat, le général Zine Ben Ali. C'est notamment lui, responsable local de la Ligue des Droits de l’Homme, qui prend en charge Mounir Beltaïfa, témoin à charge contre le frère du président tunisien, Habib, dit Moncef Ben Ali, dans le cadre de l'affaire dite de la Couscous Connexion, qui avait défrayé la chronique en 1992-93. Le frère en question avait été arrêté par la police française en flagrant délit de transport de fonds. Il avait été relâché suite à une intervention directe de l'ambassade tunisienne à Paris, qui avait doté le prévenu d'un passeport diplomatique séance tenante. Moncef Ben Ali sera condamné par la suite à 10 ans de prison par contumace et à une interdiction définitive du territoire français.

Ali Saïdi mène ensuite des actions spectaculaires de contestation du pouvoir un peu partout dans le monde (Genève, New-York, Vienne, Pékin, Bruxelles…) Mais il ne parvient jamais à gagner la confiance de l'opposition tunisienne en exil. Longtemps isolé, il renoue des contacts avec le régime dès 1999. Cela aboutira à son retour au pays cette année-là, puis à sa nomination comme chargé de mission au ministère des Affaires étrangères à l'été 2000. Il disait vouloir changer les choses de l’intérieur.

On apprendra par la suite qu'il avait subi les mêmes tracasseries que les plus farouches opposants. Peu de temps avant sa mort, on lui avait arraché sa serviette en pleine rue et en plein jour. Il a eu une série d'accidents ou de tentatives d'accident de la circulation. Il a également confié à certains amis à l'étranger, ainsi qu'à son frère cadet, Ali Jr, qui vit en Suisse, qu'il avait l'impression d'être constamment épié. Une personne sûre proche de la victime nous a confirmé qu'il avait annoncé qu'il travaillait à la rédaction de son testament. Porté disparu à partir de la mi-décembre, Ali Saïdi sera retrouvé mort à la fin du mois à Gafsa. On relèvera ici que les autorités du général Ben Ali (police, justice…) ne communiquent jamais directement sur l'affaire, mais par des informations distillées dans la presse locale via l'agence officielle TAP. Ce détail est capital. Si on ne l'intègre pas, on ne pourra pas saisir la situation.

Enfin, le Comité de lutte contre la torture fondé par Ali Saïdi a longtemps travaillé avec l’OMCT, même s’il n’en était pas encore membre. Il est également extraordinaire de souligner que, même haut fonctionnaire des affaires étrangères, Ali Saïdi n’a jamais supprimé son site (voir ses sites) internet personnel, que l’on peut toujours visiter et où l’intéressé se confie, hésitant, sur son parcours et son retour à Tunis :

http://espacenet.org/anabib (Il se peut que ces pages ne soient plus disponibles) 

 

 

DISPARITION !!

 

Selon son épouse Mme Malika Saïdi, le dernier contact avec lui remonte au 6 décembre. Son frère à Genève l'a appelé le 12 décembre au soir. Depuis, il n'avait plus donné signe de vie. Sa famille s'agite alors, tant à Tunis qu'à Paris et la nouvelle de sa disparition fait le tour du monde grâce aux dépêches des grandes agences, telles que l'AFP, L'AP…)

Auparavant, l'épouse Saïdi s'était vu répondre au ministère que son mari était parti en mission pour le compte de la présidence. Peu après, le même ministère fera paraître une note reprochant à l'intéressé d'avoir émis un chèque sur une banque de la place et qu'il avait déposé un article auprès d'un magazine local le 23 décembre, lequel article avait paru le 26 suivant. Sur la base de quoi, le ministère considérait que son absence de son poste était avérée "irrégulière"…

Le 30 décembre, on annonce que son corps avait été retrouvé et qu'il avait été victime d'un assassinat crapuleux. Voici ce qu'écrit le journal Sabah El Kheir du 6 janvier 2002 : "Le 12 décembre est le dernier jour où M. Ali Saïdi avait été aperçu vivant. Ce jour-là, il était à son travail comme à l'accoutumé jusqu'à ce qu'il reçut un appel téléphonique. Dès qu'il eut raccroché, il mit rapidement sa veste et quitta précipitamment le bureau après avoir annoncé à ses collègues qu'un imprévu l'appelait à partir pour le Sud, précisément pour Gafsa. Il précisa que cette affaire serait réglée en une journée ou moins et qu'il reprendrait son travail le lendemain matin."

Or, l'accusée Latifa Saïdi, auteur désignée du coup de fil du 12 décembre, déclare au juge d'instruction qu'Ali Saïdi était arrivé à Gafsa le 14 décembre, mais n’a pas résidé chez elle. Où était-il pendant ces deux journées des 13 et 14 décembre ? A aucun moment, ni les enquêteurs de la police, ni le juge d'instruction ne tentent d'effleurer cette question, laissant l'impression que la victime serait arrivée à Gafsa directement le 15 décembre.

 

L'ANNONCE DE LA MORT :

 

Les autorités de Tunis n'ont jamais parlé du cas Saïdi qu'après la nouvelle de sa disparition diffusée. C'était le 28 décembre, notamment par l'AFP qui reprenait un coup de fil reçu de l'épouse Saïdi. Mais bien avant, sentant le danger, le frère de la victime, Ali Saïdi Jr, diffuse de Genève des appels de détresse disant que son frère allait être tué, s'il n'était déjà mort. Il en a même envoyé au ministère de l'intérieur lui demandant de "ne pas tuer [son] frère". Les autorités gardèrent le mutisme jusqu'au soir du 30 décembre, après que le cas Saïdi fût devenu une préoccupation de l'opinion intérieure et extérieure. L'annonce de sa disparition avait été reprise par RFI, le Figaro, AlJazeera.net… France3 Normandie était allée réaliser un reportage chez la victime à Evreux. 

La première dépêche d'agence (AFP) tombe à 23h52, le 30 décembre. Elle se réfère à une dépêche de la TAP diffusée en soirée le même jour et qui indique que le corps de la victime avait été retrouvé vers 11h00 du matin. La dépêche de l'AP paraît à 00h52. De sorte que, le lendemain, 31 décembre, la presse locale s'empare de l'affaire, qui sera traitée quasi-quotidiennement jusqu'à 10 jours plus tard.

Or, le 30 est un dimanche, veille d'un long congé de fin d'année et la TAP n'a pas l'habitude, même en semaine, de travailler si tard. On signalera ici que certains correspondants d'agences sont des journalistes officiels. Ils traitent l'information selon les instructions des autorités.

A noter également que l'annonce de la découverte du corps a été insérée dans le cadre d'un récit selon lequel d'ores et déjà la justice tiendrait tous les tenants et les aboutissants de l'affaire criminelle : une victime (A. Saïdi), un ou des coupables (les sœurs Latifa et Hédia Saïdi, ainsi que le fils de cette dernière), un mobile (promesse de mariage non tenue) et les armes du crime (Une drogue et un réchaud à charbon en terre cuite (co2)) …

On apprendra par la suite que cette information ira en priorité vers les chancelleries étrangères susceptibles de s'intéresser au cas Ali Saïdi.

En outre, le procès-verbal de constat de police sur les lieux supposés du crime, en l'occurrence chez LA coupable désignée, Latifa Saïdi, est daté du 30 décembre à 18h00, le jour même où avait été délivrée la commission rogatoire 633/1 du juge d'instruction.

Le gouvernement cherchait manifestement à couper cours à l'affaire en donnant UNE version complète et quasi-définitive de l'affaire, présentée comme parfaitement élucidée.

 

THESE OFFICIELLEMENT RETENUE :

 

Ali Saïdi s'est déplacé à Gafsa chez son amante Latifa, à son invitation. Là, un plan avait été mis au point en vue de mettre la main sur ses biens. On l'a donc drogué à l'aide d'une substance végétale issue d'une plante que les scientifiques ont identifiée comme étant le Datura stramonium L. Ayant lié partie avec un jeune homme qui se trouve être opportunément fils d'un notaire, Hédia Saïdi l'appelle pour qu'il vienne, comme convenu, réaliser le document. Mais, "vu le rang social" du contractant, il ne sera pas disposé à venir au salon signer le document en bonne et due forme. C'est donc dans la chambre attenante qu'on lui amènera le registre officiel apporté de l'étude de son père par le jeune homme, lui-même en détention depuis l'éclatement de l'affaire. On contrefait la signature de Ali Saïdi, qui est inconscient, et on revient vers le notaire en herbe. Celui-ci, méticuleux, remarque que la signature est trop distante du texte. Il propose alors que l'on comble ce blanc par l'emprunte digitale de l'intéressé. Hédia (avec Latifa, soutient le jeune homme) revient vers la chambre, humecte le pouce de la victime d'encre de feutre, y colle l’empreinte et revient avec le registre au salon. On donne 25 dinars d'"honoraires" au jeune homme avant de lui donner congé…

Au-delà des contradictions grossières, sur lesquelles le juge d'instruction ne juge pas utile de revenir alors qu'il s'agit d'un crime grave, on voudrait retenir que l'intéressé a été mis dans un endroit fermé avec un réchaud dégageant du gaz carbonique jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Par la suite, les biens de la victime sont rapatriés par Hédia sur Gafsa chez Latifa deux jours avant leur arrestation.

 

VERSIONS DES ACCUSEES :

 

 Il ressort des interrogatoires de police et de l'instruction que ce serait Hédia Saïdi qui aurait tout organisé. Mais les versions attribuées aux deux soeurs sont parfois contradictoires. 

Lors de son premier interrogatoire de police, daté du 30 décembre, Hédia n'évoque pas du tout la mort de Ali Saïdi. Elle dit avoir exécuté ce que lui avait demandé sa sœur, à savoir trouver un notaire qui accepte de venir chez Latifa en vue de rédiger la procuration qu’elle entendait obtenir d’Ali Saïdi sur tous ses biens. Jusqu'à la fin, elle laisse entendre que sa sœur Latifa a tout organisé sans l'informer.

Le surlendemain, 1er janvier, elle avance une thèse diamétralement opposée, revendiquant l'assassinat  pour elle seule. Elle prétend même avoir drogué également sa sœur Latifa, qui aurait été réticente à la mise en œuvre du dessein imaginé par Hédia. De sorte que Latifa apparaît comme n'ayant pris aucune part au crime. Alors que le jeune "notaire" avait prétendu que toutes les deux allaient dans la chambre attenante pour recueillir signature et empreinte.

Quant à Latifa, elle affirme que tout avait été organisé à son insu par sa sœur Hédia. Lors des moments critiques, soit elle partait "se promener", soit elle "dormait". Catastrophée par l'annonce de la mort de la victime que lui notifie sa sœur, elle…va dormir jusqu'au lendemain, selon sa déclaration au juge d’instruction. Une petite précision sur la drogue utilisée : elle est tirée d’une plante que l’on appellerait localement Koukhara. D’après un centre médical, repris par l'autopsie officielle, ce serait le Datura stramonium L. On peut lire dans l’encyclopédie Hachette que « le datura est une solanacée à grandes fleurs en cornets, fréquente en France, toxique et narcotique. Le stramoine est un datura. »

 

LE MOBILE :

 

Les deux sœurs finissent, à travers les versions, par s'accorder sur une chose : le motif de leur acte est de mettre la main sur les biens de la victime.

Hédia ajoutera dans sa déposition de police qu'elle avait souhaité se venger de cet homme qui avait déçu les espoirs de sa sœur, comme bien d'autres avant lui. Ce propos ne sera pas du tout réitéré devant le juge d'instruction. Là, seul le dessein pécuniaire sera mis en avant. Car, dit Latifa, "ma sœur avait besoin d'argent… Elle était à la recherche des chéquiers de la victimes, mais ne les a pas trouvés…"

A aucun moment la maladie de Latifa, évoquée très vaguement, n'est donnée comme le mobile principal du crime.

On signalera que, quelques jours après l'éclatement de l'affaire une certaine presse avait maintenu l'accusation contre Latifa Saïdi en tant que principale coupable du meurtre d'Ali Saïdi. Puis, une insistance toute particulière a commencé à être mise sur le cancer du cerveau qui l'aurait terrassée jusqu'à amener le juge d'instruction à mettre fin à ses interrogatoires, puisqu'elle était "mourante". Cette même presse avait susurré que le crime attribué à Latifa devait lui servir à puiser dans l'argent de la victime pour aller se faire soigner de cette soudaine "tumeur au cerveau".

De tout cela, point de trace durant les interrogatoires de police ni devant le juge d'instruction.

 

LA PROCURATION :

 

C'est là l'un des volets les plus problématiques de cette affaire extraordinaire. Par bonheur, Hédia Saïdi avait, en son temps, fait la connaissance du jeune Khaled, élève dans une école de tourisme et fils de notaire, qui apporte occasionnellement son aide à son père dans la rédaction des contrats. Il avait donc accès libre aux registres et autres matériels de travail des notaires. Hédia s'entend avec Khaled pour qu'il vienne chez Latifa superviser une procuration en faveur de sa soeur. On lui aurait expliqué, que, vu son « rang social », l'un des signataires ne pourra pas venir à l'étude. Le jeune homme arrive donc presqu'en même  temps que la victime. Il confie son registre à l'une des deux femmes - ledit rang social empêchant l'intéressé de venir à lui - qui va y apposer une signature contrefaite de l'intéressé. Il reste un blanc que l'on comble par l'empreinte digitale, comme relaté plus haut.

Hédia attendra le 27 décembre pour aller à Tunis embarquer les meubles d'Ali Saïdi en prétendant auprès d'un jeune homme qui devait l'aider qu'elle détenait une procuration sur ces biens.

Seront gardés à vue et interrogés dans cette affaire les deux notaires qui avaient signé la procuration établie par Khaled. Tous deux disent se faire confiance et ne pas trop regarder lorsque l'un a besoin de la signature de l'autre, toutes les deux étant obligatoires pour valider le document. Celui-ci ira jusqu'à être enregistré à la recette des Finances. Mais, en l'état actuel, on ne sait pas qui l'a proposé à l'approbation de cette administration tatillonne parmi toutes. Les deux notaires seront relâchés, mais le fils restera en prison.

La grande question est de savoir dans quelle mesure les prétendues coupables avaient conscience de pouvoir se servir d’un document obtenu par le meurtre. La voiture officielle du défunt étant restée garée dans le jardin de la petite maison, comment n’ont-elles pas eu une seconde l’idée de s’en débarrasser pour parfaire un crime qui, décidément, n’est pas parfait. Il est utile de préciser ici que Hédia est institutrice d’application (=professeur des écoles) alors que Latifa détient une maîtrise. Ce ne sont donc pas des analphabètes ou des débiles…

 

LES ACTIVITES DE LA POLICE :

 

Il faut d’abord rendre hommage à l’officier de police Mohamed Klaï et au juge d’instruction Mohamed Ammar, qui ont si rondement mené leur enquête. Voici comment :

Le corps est découvert à 11h00, le dimanche 30 décembre. Le juge délivre immédiatement une commission rogatoire que l’officier exécute tambour battant. Un constat sur les lieux est effectué sur-le-champ. Dès 17h45, l’officier établit la liste des actes de police qu’il vient d’entreprendre ou qu’il compte entreprendre. Entre interrogatoires, confrontations, réquisitions pour actes médicaux, arrestation des suspects et toutes les notifications y afférentes, on ne compte pas moins de 34 actes. Y compris les noms des témoins et autres suspects qui n’auraient pu être obtenus qu’à travers de longs interrogatoires. 

L’horaire des actes de cette journée est réparti comme suit :

17h45 : Nomenclature des actes

18h00 : Procès-verbal de constat effectué sur les lieux

XXX   : Interrogatoire de Latifa Saïdi

22h30 : interrogatoire de Hédia Saïdi

23h00 : interrogatoire de Khaled Taher

23h45 : Déplacement chez Latifa pour saisir le produit toxique incriminé

Le lendemain, 31 décembre, le même rythme reprend dès 05h00 du matin et se poursuivra le jour de l’An.

Le juge d’instruction, à son tour, n’a pas traîné. Vers le 10 janvier, son dossier était presque bouclé.

Seul le rapport d’autopsie légale a relativement été lent. Il avait été requis dès le 30 décembre. Daté du 31, il n’est parvenu à la police que le 10 janvier. Curieusement, ce document, au demeurant bien fait, ne mentionne pas de traces d’alcool dans le sang, alors que Hédia a dit avoir fait ingurgiter à la victime au moins un verre de pastis…

 

L’ENTERREMENT :

 

Ali Saïdi avait exprimé le souhait d’être enterré près de son père à Oum Laârayes. (Moularès) Son père était d’ailleurs la dernière attache qui le retenait puissamment au pays et il venait de décéder récemment. Le clan des Saïdi est par ailleurs fort nombreux. Il est de tradition que l’on assiste aux funérailles d’un proche, voire d’un voisin. La victime avait également de très nombreux amis et collègues. Pourquoi donc a-t-il été inhumé à Jellaz, à Tunis ? Pourquoi seules trois proches ont assisté à son enterrement ? Pour quelle raison pas un officiel, pas un collègue des Affaires étrangères n’a daigné effectuer le déplacement ? Qui a intimé l’ordre aux Saïdi de s’abstenir de "monter" à Tunis pour rendre un dernier hommage à leur parent ? Pourquoi, en l’absence d’officiels à protéger, les policiers étaient-ils aussi nombreux ?

Dans le même ordre d’idées, et comme la famille Saïdi l’a démenti par la voix de M. Ali Saïdi Jr, qui a pris l’initiative de faire publier des « remerciements », « particulièrement à son Excellence M. le Président de la République… » (La Presse, 6/01), alors que nul n’avait demandé de nouvelles de la famille ?

Ces questions n’ont jamais connu de réponse jusqu’à ce jour.

On signalera ici que le permis d’inhumer délivré par le même officier de police en charge de l’affaire et daté du 2 janvier mentionne le cimetière de Hammam Lif-Ben Arous comme lieu d’inhumation et non celui du Jellaz. Il semblerait qu’il y ait eu une grande hésitation avant qu’une décision soit prise d’enterrer la victime…dans l’illégalité.

 

ATTITUDE DE LA PRESSE :

 

Le pouvoir n’a jamais communiqué officiellement dans toute cette affaire. Mais des journaux dits privés, mais qui sont aux ordres du ministères de l’intérieur, ont fait paraître le point de vue officiel à travers les dépêches de la TAP (Tunis-Afrique Presse). Cette officine n’a pas de site web et il est donc impossible de retrouver ses archives, tant est qu’elle en possède.

Comme mentionné plus haut, le black-out est resté de rigueur jusqu’à ce que la famille secoue des médias étrangers. A partir de là, les lettres-SOS envoyées par le frère cadet et homonyme de la victime, qui vit à Genève, ont apparemment été prises au sérieux. Les thèses exposées par les médias tunisiens se sont métamorphosées pour répondre du tac au tac aux messages de M. Ali Saïdi Jr sur internet. C’était une maladresse que le jeune frère endeuillée reconnaît aujourd’hui, car elle les a éclairés sur leurs contradictions. Mais d’un autre côté, cette précipitation a permis de mettre au jour les contradictions du pouvoir. La mission présidentielle s’était muée en absence illégale, la voiture de la victime n’était plus dans un garage, mais à l’air libre et visible de loin, le secret de l’instruction a été allègrement bafoué, le statut de coupable a été retiré à Latifa pour être attribué à Hédia…

Tous les journaux ont insisté sur la qualité de « haut fonctionnaire » de la victime, mais nul ne s’est posé de questions sur les circonstances de son enterrement. Certains médias l’ont encensé pour mieux l’assassiner par de perfides allusions à ses mœurs. D’autres ont dressé de lui un portrait lénifiant pour suggérer qu’il ne serait pas en disgrâce.

A ce propos, on tente de faire croire que cet opposant de toujours n’était pas surveillé jour et nuit, notamment dans ses déplacements. Nous avons obtenu des témoignages d’amis qu’il avait rencontrés lors de son dernier séjour entre Paris et Londres, selon lesquels il savait pertinemment que ses faits et gestes étaient épiés en permanence. Même par simple sécurité de l’Etat, on se devait de s’interroger sur l’absence prolongée d’un haut fonctionnaire. Pourquoi dès lors sa disparition a-t-elle duré si longtemps ? Comment la police peut-elle prétendre ne pas savoir où se trouvait exactement la voiture de fonction de la victime ?

 

LE SORT  DES SŒURS SAÏDI :

 

Comme nous le disions dans notre appel du 23 janvier 2002, les sœurs Saïdi risquent d’être supprimées d’une manière ou d’une autre. Latifa a été déclarée mourante des suites de sa tumeur au cerveau par un journal de la place. Comme elle avait été donnée au départ comme accusée principale, elle n’est plus utile pour ce rôle, désormais joué par Hédia. Celle-ci est divorcée et a déjà perdu la garde de ses enfants confiés à leur père. Son fils, Ahmed, né le 6 février 1988, a été interrogé et nombre de témoins ont vu des traces de violences graves sur son corps. On l’a accusé au départ d’avoir participé à l’aménagement de la fosse dans laquelle sa mère aurait enterré la victime. Les interrogatoires devant le juge d’instruction mentionnent la présence d’avocats auprès des prévenues, mais nous savons par expérience que cela ne signifie pas grand-chose du moment que c’est le pouvoir qui choisit ces avocats.

Il faut noter que la relation de l’affaire par la presse locale a plongé la famille des Saïdi dans l’enfer de l’hostilité sociale. Ayant désigné les sœurs Saïdi comme coupables avérées, cette presse a bafoué la présomption d’innocence à laquelle tout justiciable a droit.

Nous avons également appris que la mère, Anès, pouvait avoir déjà perdu une partie de son discernement suite à l’arrestation de ses deux filles. Les témoignages sur place indiquent par ailleurs que Latifa était en bonne santé au moment de son arrestation.

En tout état de cause, le gouvernement de Tunis sera tenu responsable de la sécurité physique et morale des deux détenues. Il devra leur garantir un procès équitable au regard des normes internationales, dans un délai raisonnable.

 

AUTRES INTERROGATIONS :

 

Lorsqu’on s’est rendu chez la victime à Tunis, on a trouvé un chauffe-eau en marche et du linge trempé pour être lavé. On a dit que tout donnait l’impression que l’intéressé avait quitté les lieux précipitamment. Hédia Saïdi aurait déclaré que les effets de Ali Saïdi à Tunis étaient rangés, fagotés, comme prêts pour un déménagement.  D’un autre côté, un énorme trou d’emploi du temps de la victime reste béant. L’appel de Gafsa, nous dit-on, est arrivé le 12 décembre. Mais on ne retrouve la victime que le 14, au moment où Latifa aurait affirmé qu’il était venu chez elle. Ni l’enquêteur ni le juge d’instruction n’ont estimé utile de tirer au clair les 24 heures du 13 décembre et la présence à Gafsa le 14. Or, l’intéressé serait arrivé à Gafsa dans sa voiture de fonction, laissée sur place par les meurtrières présumées. Pouvaient-elles faire autrement ? Avaient-elles le choix ?

En termes plus clairs, Ali Saïdi est-il arrivé libre, voire vivant, à Gafsa ou a-t-il été kidnappé chez lui pour être transporté ailleurs. Sa voiture ainsi exposée au regard des passants et des voisins n’est-elle pas une grossière manipulation pour attirer les policiers sur les sœurs Saïdi ? L’affaire bien ficelée en moins d’une demi-journée n’a-t-elle pas quelque chose de fondamentalement louche ? Pourquoi Ali Saïdi a-t-il déclaré à une source que nous garantissons sûre avoir entrepris la rédaction de son testament depuis l’été dernier.

Les témoins et autres lampistes interrogés par la police et prétendument impliqués par les sœurs Saïdi ne sont-ils pas cette débauche de détails qui vise à brouiller la visibilité et à accroître une vraisemblance mal en point ? Est-il pensable que des notaires professionnels se laissent ainsi embarquer par le fils de l’un d’entre eux, signent et contre-signent des documents de première importance sans se donner la peine de regarder les choses de plus près ? Le jeune fils du notaire, tout de même âgé de 28 ans, n’arrive-t-il pas trop à propos pour servir un dessein un peu trop précis ? Et la secrétaire de la victime, pourquoi implorait-elle la famille de ne pas révéler la visite de courtoisie qu’elle leur avait rendue à l’annonce du décès ? Le souci de se faire soigner comme mobile du crime pourquoi ne le retrouve-t-on nulle part dans les déclarations des accusées ? Ou la tumeur au cerveau est-elle à son tour très à propos ?..

La police donne l’apparence d’avoir travaillé sans relâche durant le week-end et les fêtes de fin d’année, interrogeant des personnes jusqu’après minuit. Ne serait-ce pas du zèle de façade visant à sortir UNE thèse unique et définitive qui enterre Ali Saïdi définitivement ?

 

 

EN CONCLUSION :

 

Cette affaire ressemble à celle de Najib Hosni en 1994. A l’époque, le pouvoir avait tout fait pour déconsidérer l’avocat et le couper de ses soutiens habituels et de l’opinion. Il avait failli réussir. Au CIDT-TUNISIE, nous pensons que la société internationale est en mesure d’empêcher un tel dessein. Ce texte vise donc à donner un aperçu qui permette de poser des questions au gouvernement de façon à lui signifier définitivement que rien d’officiel ne sera pris pour argent comptant et qu'il devra rendre des comptes.

 

L’essentiel de ce texte avait été écrit début janvier 2002. Depuis, on a entendu dire que les femmes Saïdi-Biskri avaient été condamnées à la perpétuité en première instance et en appel. Pourtant, lors de l’appel, Hédia avait crié qu’elle n’avait « pas tué » et avait été contrainte au silence.

Maître Abdelwahab Maâtar s’était plaint de ce que Habib, autre frère cadet  d’Ali aurait été autopsié d’une manière on ne peut plus cavalière : en effet, le cadavre présenté au médecin légiste manquait d’un… cerveau, qui sera amené plus tard dans un seau. Il s'avérera que ce n'était pas le bon... Un vrai film d’horreur !

Ici aussi, comme dans l’affaire Hosni, le pouvoir a trop de monde à contrôler ou à faire taire… Mission humainement impossible. D’où la vérité a toutes ses chances.

 

 

 

                      Khaled BEN M’BAREK, Coordinateur

 

 

 

POUR LE DROIT DES TUNISIENS

A NE PAS ETRE TORTURÉS

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Centre d’information et de documentation sur la Torture (CIDT-TUNISIE). Association Loi 1901. 5A, rue Scaremberg F-25000 Besançon. FRANCE. E-mail : cidtunisie@free.fr

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